Les proverbes disent toujours que dans la vie, on a rien sans rien.
Ce n’est surtout pas un an en voyage à Paris qui fera exception.
Ça m’a pris un bon mois pour me faire à l’idée de payer 7 dollars un sandwich et je ne me suis toujours pas remis d’avoir à dépenser le prix d’un café si je veux utiliser les toilettes sur un coup de tête – de crainte que quelque chose d’autre ne se paye mon pantalon. J’ai toujours pensé que les toilettes publiques (vous voyez de quoi je parle ?) étaient une sorte de farce sadique inventée par Rollercoaster Tycoon (jeu vidéo, NDLR) et créées pour me permettre de rire aux éclats des petits personnages de dessins animés vomissant partout sur l’écran de mon ordinateur, mais j’aurais dû savoir que les Parisiens, que les stations puant la pisse ne dérangent pas, seraient au-delà du stratagème. Mais là, je m’égare.
Le prix excessif de mon échange international ne vient pas en fait du coût de la vie mais d’avoir à rectifier mes attentes, ce qui a été la meilleure attitude.
Quand les gens me demandent des nouvelles de Paris… en fait, d’habitude, ils ne me demandent rien. Ils formulent des déclarations du style “Tu dois t’éclater!” ou bien “Parle-moi de ta petite amie française !”, ou bien ils posent leurs questions avec la réponse déjà en tête, du genre “A quel point est-ce merveilleux là-bas ?” Malheureux de leurs vies bien rangées, ils attendent de moi que je vive leurs rêves, donc – au risque de passer pour un geignard, un indifférent salaud à l’approche mon retour – mes réponses à ces “questions” incluent forcément à chaque fois les mots “amazing,” “unbelievable,” ou encore “incredibly hot.” ( « génial, incroyable…). Le problème c’est que, comme toutes les comparaisons entre fantasme et réalité, le Paris de l’imagination des Américains du Midwest ne colle pas vraiment au Paris du monde réel.
Les guides de voyage et les films de Marie-Kate & Ashley qui façonnent le Paris des Américains du Midwest n’ont pas pour habitude de mentionner l’énorme population de sans domiciles fixes (SDF), les trottoirs de merde dont les côtés sont infestés de pigeons, les rues embouteillées ou encore la lugubre et morne monotonie de l’abîme sans soleil et sans neige qui va de décembre à mars.
Une fois arrivés ici, les touristes eux même ne remarquent pas non plus ces choses – parce qu’ils ne veulent pas gâcher leur trip. Pour le peu de temps qu’ils sont sur Paris[1], ils sont rattrapés par leur monde de rêve mythique, partial, auto-créé et super-imposé, malheureusement renforcé par les festivités. C’est un cercle vicieux : ils voient ce qu’il veulent voir.
Ils ignorent les regards vides dans le métro parce qu’ils sont trop occupés à raconter des bêtises à propos de la Tour Eiffel qui s’allume. “Oh mon Dieu, c’était si inattendu !” Ils se dirigent sans s’inquiéter à travers les nuages de fumée de cigarette, les foules errantes parce qu’ils trop occupées à dire des bêtises à propos des politesses pour s’asseoir à côté de quelqu’un dans un café. ( Ce concept révolutionnaire les protège aussi des prix scandaleux qu’ils payent pour les mauvaises commandes, servies d’habitude avec une pointe de dédain.) Et ils ne doivent pas faire face aux plaintes incessantes, généralisées et affligeantes car « ces mecs géniaux du Frog and Princess (Pub anglais) hier soir” sont toujours là pour se joindre à leur enchantement.
Mais tout le monde ne peut pas être aussi inconscient et je sais maintenant pourquoi les Parisiens sont si froids. Ils doivent entendre ces stupidités. Tous les jours. Ils voient bien les sans domiciles fixes à chaque coin de rue. Tous les jours. Ils sentent bien la pisse dans le métro. Tous les jours. Et ils marchent dans une crotte ou bien se font chier dessus par les pigeons. Presque tous les jours. Ils sont accablés par le train-train quotidien d’une ville conçue pour des vacances et leur seule ressource est tout simplement de tout refouler. Bien sûr, cela rend la vie encore plus maussade.
Le truc, en fin de compte, est de trouver dans la réalité submergeante, inhumaine et fadement énervante de la vie quotidienne des parisiens les éléments qui permettent d’être romantique. Et je ne parle pas de prendre du temps libre après l’école ou le travail pour aller voir la collégiale Notre Dame ou l’Arc de Triomphe, bien que ça en fasse parti. Je parle d’aller chercher dans cette ville ce qui vous intéresse. Bien que pour les Américains du Midwest la manifestation de l’idéal parisien puisse prendre les formes sans intérêt d’une masse d’acier scintillante ou d’un petit portrait dépressif, de tels symboles ne sont pas les véritables raisons pour lesquelles les gens viennent à Paris pour les admirer.
Le truc est de trouver vos propres symboles, pour vos propres raisons. Vivre à Paris ne doit pas étouffer son aura, mais la renforcer. C’est bien plus facile pour nous de fermer notre esprit à la réalité quand cela ne correspond pas à nos idéaux, en agissant ainsi, nous manquons tout ce qui vaut le coup. En citant pompeusement Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry : “Droit devant soi on ne peut pas aller bien loin[2].” En d’autres termes, pour établir une comparaison révélatrice aux équivalents Nord américain, Ferris Bueller avait raison quand il a dit “life moves pretty fast. If you don’t stop and look around once in a while, you could miss it.” (La vie passe vite. Si tu ne t’arrêtes pas pur regarder un peu autour de temps en temps, tu pourrais bien la manquer)
Nous devons donc faire un effort concerté pour apprécier tout ce que Paris a à offrir ; pour rectifier nos attentes avec la réalité. Sinon, frustrés par le fossé entre la réalité et nos attentes, on trouve que Paris est misérable à vivre. Cela peut sembler cher payé pour de l’autosatisfaction mais avec les possibilités que Paris offre, cette façon alternative de voir les choses vaut le coup au final. En fait, comme on dit, dans la vie, tout se paye.
[1]NDT : en français dans le texte.
[2] NDT : en français dans le texte.
Traduction de Raphaël Girault & GLG
Article publié pour la première fois le 26/01/2010