Archives quotidiennes : 1 Mai 2011

FRA – Pourquoi je déteste Paris (et pourquoi je ne veux pas partir)

Les proverbes disent toujours que dans la vie, on a rien sans rien.

Ce n’est surtout pas un an en voyage à Paris qui fera exception.

Ça m’a pris un bon mois pour me faire à l’idée de payer 7 dollars un sandwich et je ne me suis toujours pas remis d’avoir à dépenser le prix d’un café si je veux utiliser les toilettes sur un coup de tête – de crainte que quelque chose d’autre ne se paye mon pantalon. J’ai toujours pensé que les toilettes publiques (vous voyez de quoi je parle ?) étaient une sorte de farce sadique inventée par Rollercoaster Tycoon (jeu vidéo, NDLR) et créées pour me permettre  de rire aux éclats des petits personnages de dessins animés vomissant partout sur l’écran de mon ordinateur, mais j’aurais dû savoir que les Parisiens, que les stations puant la pisse ne dérangent pas, seraient au-delà du stratagème. Mais là, je m’égare.

Le prix excessif de mon échange international ne vient pas en fait du coût de la vie mais d’avoir à rectifier mes attentes, ce qui a été la meilleure attitude.

Quand les gens me demandent des nouvelles de Paris… en fait, d’habitude, ils ne me demandent rien. Ils formulent des déclarations du style “Tu dois t’éclater!” ou bien “Parle-moi de ta petite amie française !”, ou bien ils posent leurs questions avec la réponse déjà en tête, du genre “A quel point est-ce merveilleux là-bas ?” Malheureux de leurs vies bien rangées, ils attendent de moi que je vive leurs rêves, donc – au risque de passer pour un geignard, un indifférent salaud à l’approche mon retour – mes réponses à ces “questions” incluent forcément à chaque fois les mots “amazing,” “unbelievable,” ou encore “incredibly hot.” ( « génial, incroyable…). Le problème c’est que, comme toutes les comparaisons entre fantasme et réalité, le Paris de l’imagination des Américains du Midwest ne colle pas vraiment au Paris du monde réel.

Les guides de voyage et les films de Marie-Kate & Ashley qui façonnent le Paris des Américains du Midwest n’ont pas pour habitude de mentionner l’énorme population de sans domiciles fixes (SDF), les trottoirs de merde dont les côtés sont infestés de pigeons, les rues embouteillées ou encore la lugubre et morne monotonie de l’abîme sans soleil et sans neige qui va de décembre à mars.

Une fois arrivés ici, les touristes eux même ne remarquent pas non plus ces choses – parce qu’ils ne veulent pas gâcher leur trip. Pour le peu de temps qu’ils sont sur Paris[1], ils sont rattrapés par leur monde de rêve mythique, partial, auto-créé et super-imposé, malheureusement renforcé par les festivités. C’est un cercle vicieux : ils voient ce qu’il veulent voir.

Ils ignorent les regards vides dans le métro parce qu’ils sont trop occupés à raconter des bêtises à propos de la Tour Eiffel qui s’allume. “Oh mon Dieu, c’était si inattendu !” Ils se dirigent sans s’inquiéter à travers les nuages de fumée de cigarette, les foules errantes parce qu’ils trop occupées à dire des bêtises à propos des politesses pour s’asseoir à côté de quelqu’un dans un café. ( Ce concept révolutionnaire les protège aussi des prix scandaleux qu’ils payent pour les mauvaises commandes, servies d’habitude avec une pointe de dédain.) Et ils ne doivent pas faire face aux plaintes  incessantes, généralisées et affligeantes car « ces mecs géniaux du Frog and Princess (Pub anglais) hier soir” sont toujours là pour se joindre à leur enchantement.

Mais tout le monde ne peut pas être aussi inconscient et je sais maintenant pourquoi les Parisiens sont si froids. Ils doivent entendre ces stupidités. Tous les jours. Ils voient bien les sans domiciles fixes à chaque coin de rue. Tous les jours. Ils sentent bien la pisse dans le métro. Tous les jours. Et ils marchent dans une crotte ou bien se font chier dessus par les pigeons. Presque tous les jours. Ils sont accablés par le train-train quotidien d’une ville conçue pour des vacances et leur seule ressource est tout simplement de tout refouler. Bien sûr, cela rend la vie encore plus maussade.

Le truc, en fin de compte, est de trouver dans la réalité submergeante, inhumaine et fadement énervante de la vie quotidienne des parisiens les éléments qui permettent d’être romantique. Et je ne parle pas de prendre du temps libre après l’école ou le travail pour aller voir la collégiale Notre Dame ou l’Arc de Triomphe, bien que ça en fasse parti. Je parle d’aller chercher dans cette ville ce qui vous intéresse. Bien que pour les Américains du Midwest la manifestation de l’idéal parisien puisse prendre les formes sans intérêt d’une masse d’acier scintillante ou d’un petit portrait dépressif, de tels symboles ne sont pas les véritables raisons pour lesquelles les gens viennent à Paris pour les admirer.

Le truc est de trouver vos propres symboles, pour vos propres raisons. Vivre à Paris ne doit pas étouffer son aura, mais la renforcer. C’est bien plus facile pour nous de fermer notre esprit à la réalité quand cela ne correspond pas à nos idéaux, en agissant ainsi, nous manquons tout ce qui vaut le coup. En citant pompeusement Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry : “Droit devant soi on ne peut pas aller bien loin[2].” En d’autres termes, pour établir une comparaison révélatrice aux équivalents Nord américain, Ferris Bueller avait raison quand il a dit “life moves pretty fast. If you don’t stop and look around once in a while, you could miss it.” (La vie passe vite. Si tu ne t’arrêtes pas pur regarder un peu autour de temps en temps, tu pourrais bien la manquer)

Nous devons donc faire un effort concerté pour apprécier tout ce que Paris a à offrir ; pour rectifier nos attentes avec la réalité. Sinon, frustrés par le fossé entre la réalité et nos attentes, on trouve que Paris est misérable à vivre. Cela peut sembler cher payé pour de l’autosatisfaction mais avec les possibilités que Paris offre, cette façon alternative de voir les choses vaut le coup au final. En fait, comme on dit, dans la vie, tout se paye.


[1]NDT : en français dans le texte.

[2] NDT : en français dans le texte.

Traduction de Raphaël Girault & GLG

Article publié pour la première fois le 26/01/2010

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ENG – Why Paris sucks (and why I don’t want to leave)

« Les guides touristiques ne parlent pas de l’énorme population sans-abri, des trottoirs jonchés de crottes de chien qui longent ces rues, embouteillées et infestées de pigeons. »
Le Paris mythologique des Nord-Américains est une construction éloignée de la réalité, que seuls les touristes poursuivent. Vivre à Paris est une confrontation quotidienne à cette réalité. La vie parisienne détruit les mythes et les clichés. Pour le meilleur.

The proverbial they always say that nothing in life comes cheap. And a year abroad in Paris is definitely no exception. It took me a good month before I could rationalise paying seven dollars for a sandwich, and I still haven’t gotten over the fact that I’m going to be run at least the cost of an espresso if I want to use a bathroom on a whim – lest something else run down my pants. I always thought that the pay as you go bathroom (get it ?) was some sadistic/hilarious invention of Rollercoaster Tycoon that was created to enable me to laugh uproariously at tiny cartoon characters throwing up all over my computer screen, but I should have known that the Parisians, unflinching in their dedication to have all of their Metro stations reek of piss, would have been behind the ploy.
But I digress.

The steep price of my exchange hasn’t in fact been due to the outlandish cost of living here; turns out that rectifying my actual experience with others’ expectations of what it should be has taken the much greater toll.
When people ask me about Paris…well they usually don’t actually ask me anything. They rather frame statements like “You must be having a great time!” or “Tell me about your French girlfriend!” as questions, or pose their questions with the answer already in mind, as in “How amazing is it there?” Unhappy with their own regular lives, they expect me to be living their dream, so – at the risk of being castrated for being a whiny, unappreciative asshole upon my return – my answers to such “questions” must always include the words “amazing,” “unbelievable,” or “incredibly hot.” The problem is that, like most comparisons between idealised fantasy and reality, the Paris of the North American imagination really doesn’t stack up to the Paris of the real world. (Note: I understand that many North Americans conceptualise “the real world” as a TV show instead of as actual reality, but I think that that only reinforces my point.)

The tour books, travel guides, and Marie-Kate and Ashley movies that create Paris for North Americans usually don’t mention the city’s noticeably enormous homeless population, the shit walkways that flank its pigeon-infested and traffic-jammed streets, or the bleak, glum monotony that is its sunless, snowless abyss of December to March.
And once here, the tourists themselves don’t notice these things either – because they don’t want to spoil their own fun. For the brief time that they are sur Paris, they get caught up in their partially self-constructed, partially super-imposed mythological dream-world because it is sadly reaffirmed by their revelries. It’s a vicious cycle: they see what they want to see because they want to see it.
They ignore the blank stares on the Metro because they are too busy blathering on about the Eiffel Tower lighting up. “Oh my God, it was just like so unexpected!” They drift unconcerned through the clouds of cigarette smoke puffing out of the meandering crowds because they are too busy blathering on about the civility of sitting next to somebody at a café. (This revolutionary concept also protects them from the outrageous prices they pay for the wrong orders, which are usually served with a side of disdain.) And they do not have to cope with contrived, over-generalised, and incessant blatherings because “those awesome guys from the Frog and Princess last night” are always there to join them in their amazement.

But not everybody can be so oblivious, and I now know why Parisians are so cold. They do have to hear such blatherings. Every day.They do see the homeless at every street corner. Every day. They do smell the piss in the Metro. Every day. And they do step in shit, or get shit on. Almost every day. They are overpowered by the daily grind of a city designed for temporary vacationing, and their recourse is to simply block it all out. Of course, that only makes life more miserable.

The trick, then, is to find within the overbearing, inhuman, and just-plain-annoying reality of Parisian everyday life the elements that allow it to be romanticised. And I am not talking about taking time off from school or work to go see Notre Dame or the Arc de Triomphe, though that may be part of it. I am talking about taking from the city whatever it is that you want it to provide. For while North American manifestations of the Parisian ideal may take the uninspiring forms of a twinkling mass of steel or of a depressingly small portrait, such symbols are not the real reasons that people escape to Paris to admire them.

The trick is to find our own symbols, for our own reasons. Living in Paris should not stifle its aura, but should strengthen it. So while it is much easier for us to close our minds to our reality when it does not live up to our ideals, in doing so we miss all that does. To snobbishly quote Antoine de Saint-Exupéry’s Le Petit Prince: “Droit devant soi on ne peut pas aller bien loin.” In other words, and to tellingly draw a comparison to the North American equivalent, Ferris Bueller had a point when he said that “life moves pretty fast. If you don’t stop and look around once in a while, you could miss it.”

We must therefore make a concerted effort to appreciate all that Paris has to offer; to rectify reality with expectations. Otherwise, sedated by regular responsibilities and frustrated by the gulf between real life and outside expectations, we find in Paris but a miserable place to live. It may seem like a heavy price to pay for complacency, but with the possibilities that Paris provides those of the alternative mind set, it all becomes worth it in the end.

Indeed, as they say, nothing in life comes cheap. ●

Jake HELLER

Résident à la Fondation de Monaco 2008-2009
Etudiant à l’Université McGill de Montréal


Article first published on the 26th of January 2010

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